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Réinventer l'entreprise grâce au social business

Réinventer l'entreprise grâce au social business

LaTribune.fr

Le défi de ce nouveau modèle économique est d'importance. Il s'agit, pour les actionnaires, d'attendre un retour sur investissement qui ne soit pas financier mais sociétal.

La crise aura eu un mérite : celui de révéler les excès d’un système capitaliste focalisé sur la maximisation du profit. Les dérives de la finance peuvent finalement contribuer à remettre en lumière des motivations plus profondes chez l’homme : vouloir répondre à des enjeux sociétaux. Combattre la pauvreté ou la maladie, soutenir les pays en voie de développement, etc. sont autant de défis pour les ONG, les associations caritatives et l’ensemble des bénévoles mobilisés. Ceci démontre combien l’être humain est prêt à investir et s’investir de façon économiquement désintéressée pour « faire le bien ». Un nombre croissant d’entreprises contribuent à cet effort en exerçant ce qu’il est convenu d’appeler leur responsabilité sociale. Toutefois, ayant à rémunérer des actionnaires, l’ampleur des projets qu’elles peuvent mener en la matière s’en trouve structurellement limitée.

Ainsi, le contexte de la crise rend plus pertinent certaines initiatives cherchant à concilier logique économique et objectif sociétal : loin de faire disparaître les fondements du capitalisme, elles ont pour ambition de les compléter. C’est éminemment le cas du « social business », nouvelle forme d’entreprise développée par le groupe bangladais Grameen, créé par Muhammad Yunus, inventeur du microcrédit et Prix Nobel de la paix en 2006.

Qu’est-ce qu’un « social business » ?

Au cours des trente dernières années, le groupe Grameen, connu initialement comme étant la « banque des pauvres », a créé des organisations à vocation sociétale dans des champs d’activité très divers, allant des télécommunications à une offre d’assurance médicale abordable pour les plus démunis. Ces expérimentations ont permis de forger le concept de social business.

Traditionnellement, on distingue les entreprises s’inscrivant dans une logique de maximisation de leur profit économique des organisations à but non lucratif du type ONG. Celles-ci poursuivent une mission sociétale et tirent les ressources nécessaires à leur action de dons et de subventions.

Un social business emprunte à ces deux modèles. Une telle entreprise doit, par ses revenus, couvrir les coûts de son activité pour atteindre le point mort, ce qui assure sa pérennité. Ses actionnaires peuvent, comme dans une entreprise classique, récupérer le capital investi s’ils le souhaitent. En revanche, il n’y a pas de versement de dividendes. Les profits éventuels sont intégralement réinvestis au service de la mission poursuivie. La priorité du social business est de mener à bien cette mission en s’appuyant sur un modèle économique pérenne (et non tributaire du soutien de donateurs). Les actionnaires attendent un retour sur investissement, mais les profits recherchés ne sont pas financiers mais sociétaux.

Si toutes les entreprises du groupe Grameen ne présentent pas l’ensemble des caractéristiques d’un social business, chacune d’entre elles a permis d’élaborer et d’affiner ce concept. Trois recommandations découlent des échecs et des réussites de ce groupe.

La nécessaire remise en cause des logiques dominantes

En 2006, Danone s’est allié avec Grameen pour bâtir un social business dont la vocation est de « réduire la pauvreté par le biais d’un nouveau type de business qui apporte, de manière journalière, une alimentation saine aux plus pauvres ». Cette mission ne peut être atteinte par une simple duplication au Bangladesh du modèle économique habituel de Danone (positionnement haut de gamme, vente par la grande distribution, marketing grand public, production centralisée, transport sans rupture de la chaîne du froid, etc.). En effet, au Bangladesh, les conditions sont radicalement différentes : infrastructures, réseaux de distribution, populations visées, etc. Danone a donc dû remettre en cause les règles du jeu habituelles en créant un nouveau modèle économique. Le groupe a également mis en place un fond dédié afin de financer de tels projets (Danone Communities). Ainsi est né le « Shoktidoi » (littéralement « yaourt qui rend fort »), un yaourt nutritif à destination des enfants, dont le prix bas (5 BDT, soit environ 6 centimes d’euro) le rend accessible même aux familles bangladaises les plus pauvres. Le yaourt est produit à partir de lait collecté dans des microfermes environnantes, dans une usine d’une capacité environ trente fois inférieures aux usines européennes de Danone, à l’aide d’un processus de production non automatisé et simplifié à l’extrême. Enfin, la vente est assurée dans un rayon de trente kilomètres en porte à porte par les « Grameen Ladies », rémunérées par une commission.

La construction de ce social business a donc contraint les managers de Danone à remettre en cause de manière radicale leurs logiques de pensée habituelles, sur l’ensemble du modèle économique.

L’intérêt de partenaires complémentaires

Conscient de l’enjeu de la santé infantile, Grameen avait mené une première expérience dans des produits alimentaires pour nouveau-nés il y a quelques années. Si cette expérience a échoué, elle a fait prendre conscience à Grameen de la nécessité de trouver des partenaires complémentaires. Ensemble, Danone et Grameen n’ont pas hésité à inclure dans le projet l’ONG GAIN (Global Alliance for Improved Nutrition) détenant un véritable savoir- faire dans la formulation d’aliments à destination d’enfants souffrant de carences alimentaires. L’intérêt de ce type d’accord se trouve donc dans le partage de ressources et de connaissances mobilisées par les partenaires.

Le rôle de l’expérimentation

Lancer un nouveau modèle économique reposant sur la remise en cause des logiques dominantes des partenaires est par essence un défi. Le caractère éminemment novateur du modèle rend peu efficaces de simples études de marché. Il convient donc de tester le nouveau business model, de l’affiner au cours de ce test grandeur nature, avant de le déployer. C’est ce que fait actuellement Grameen Danone avec la première usine de yaourts, située à Bogra. Lorsqu’elle aura atteint le point mort, le concept sera prêt à être décliné et dupliqué dans environ 30 autres villes du Bangladesh.

Le social business comme opportunité d’apprentissage

La remise en cause des logiques de pensée dominantes, le recours à des partenariats et à l’expérimentation constituent trois recommandations à destination des entrepreneurs souhaitant construire un social business. Pour une société « classique », la participation à un projet de social business constitue incontestablement une aventure humaine mobilisatrice. C’est également une opportunité de s’exercer à innover, à penser autrement. De ce point de vue, un tel projet peut être considéré comme un laboratoire d’apprentissage, permettant aux salariés concernés d’être exposés à des environnements fondamentalement différents, requérant autant de remise en cause. Construire un social business en temps de crise offre à la fois une motivation supplémentaire aux salariés impliqués, tout en les préparant à créer des ruptures dans leur activité traditionnelle : à concilier logique économique et objectifs sociétaux.

Muhammad Yunus, Laurence Lehmann- Ortega et Bertrand Moingeon

Cited from: latribune.fr